En dépit des préceptes d'Hippocrate, qui préconisait de faire de l'alimentation la première médecine, il est indéniable que dans l’esprit de certains individus, la nourriture se métamorphose parfois en la racine même du mal. De l'anxiété alimentaire au trouble, les manifestations sont alors multiples et un mal-être profond se cristallise autour de l'acte quotidien de se nourrir. Aujourd’hui, nous allons analyser ces phénomènes, identifier leurs mécanismes sous-jacents et fournir des conseils sur la manière de les surmonter.
Il est essentiel de procéder à une clarification rigoureuse des deux notions qui ne sont pas assimilables, même si nous retrouvons dans certains cas une co-existence de l’anxiété liée à l’alimentation et du trouble des conduites alimentaires (TCA).
Notons d’abord que l’anxiété alimentaire n’est pas une entité clinique reconnue par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM V) et par l’association américaine de Psychiatrie.
Si nous désirons rester dans les termes communément utilisés par les experts de la santé mentale, elle va plutôt s’apparenter aux phobies alimentaires et aux angoisses que l’on peut retrouver chez les personnes qui souffrent d’émétophobie. Elle peut aussi être réactionnelle à une expérience négative liée aux repas, qu'elle ait été vécue précédemment ou qu'elle soit redoutée, telle que l'étouffement, par exemple.
Par contre, si on se réfère aux observations relevées depuis une trentaine d’années dans les cabinets des psys, il s’agira de cette préoccupation excessive par rapport à l’alimentation et au poids corporel sans que cela n’atteigne le stade de trouble alimentaire. C’est de ce type d’anxiété que nous traiterons aujourd’hui dans notre article.
Le trouble des conduites alimentaires figure bien sûr parmi les pathologies psychiatriques listées par le DSM.
Sheehan et Herman (2015) le définissent comme une perturbation grave du comportement alimentaire associée à une altération de la perception du corps. Dans la majorité des cas, il prend la forme d’une anorexie mentale, d’une boulimie ou d’une hyperphagie boulimique.
Ces affections touchent à peu près un million de personnes en France. Les femmes sont plus à risque de développer un tel trouble que les hommes avec une prévalence vie entière de 8,4 % contre 2.2 % pour la gent masculine.
L’anxiété alimentaire en lien avec l’image du corps et les troubles de l’alimentation peuvent être dues à diverses raisons d’ordre psychologique ou social.
Parmi les facteurs déclencheurs découverts par les recherches et évoqués, entre autres, par Villines et Seitz (2020), nous retrouvons :
Pour ce qui est des éléments interpersonnels ou sociaux qui peuvent faire naître une anxiété ou un trouble alimentaires, il y a :
Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’anxiété alimentaire est un niveau bien moindre de préoccupations par rapport au corps que celui retrouvé dans les troubles alimentaires. Les conduites pour contrôler son corps sont également moins marquées. Cependant, nombreuses sont les études qui ont démontré que très souvent ce type d’angoisses peut apparaître quelque temps avant l’émergence d’un TCA.
Contrairement aux personnes qui souffrent d’une anxiété alimentaire qui se manifeste à travers une sélection des aliments et de leur texture, les sujets dont les angoisses sont en lien avec l’image corporelle, vont présenter les signes suivants, selon Levinson et ses collaborateurs (2020) :
En termes de troubles de l’alimentation, nous allons nous restreindre à l’anorexie et à la boulimie.
La première se manifeste à travers des préoccupations disproportionnées par rapport à l’image du corps, une restriction voire un refus alimentaire, une perte pondérale significative (supérieure à 15 %) et une aménorrhée chez l’adolescente ou chez la femme. Nous retrouvons assez souvent également un fort investissement intellectuel et un grand dynamisme physique. Le sujet peut cacher sa maigreur ou l’exhiber selon les cas.
Pour ce qui est de la boulimie, on retrouve toujours une fixation sur le corps et sur le poids. Mais elle se caractérise surtout par des crises, qui surviennent au moins hebdomadairement, et où l’individu se met à manger de manière rapide, compulsive et incontrôlable. Cela se passe communément en dehors des repas et en cachette. La culpabilité le ronge par la suite et il va adopter des comportements compensatoires comme le fait de se forcer à vomir ou de prendre des laxatifs.
L’organisme humain nécessite un apport calorique spécifique pour un fonctionnement optimal, tant sur le plan mental que physique. Les fluctuations excessives dans les habitudes alimentaires peuvent perturber l'équilibre nutritionnel, compromettre les fonctions métaboliques et avoir des répercussions sur la santé somatique et le bien-être psychique.
Sur le plan psychiatrique, l’anxiété alimentaire peut évoluer parfois en un TCA. Quant au trouble, il peut s’associer à des troubles anxieux généralisés ou à une anxiété en lien avec l’alimentation. Ceci crée une sorte de cercle vicieux où les préoccupations sont de plus en plus nourries par les conduites inappropriées. Par ailleurs, les deux entités peuvent rendre la concentration difficile, altérer la confiance en soi et engendrer un repli social.
Dans certains cas, le sujet peut développer une véritable dépression, être envahi par les idées noires, et même faire des tentatives de suicide.
Pour ce qui est des manifestations somatiques, elles peuvent aller des étourdissements aux évanouissements dûs à un apport nutritionnel et énergétique insuffisant. La perte de poids peut être importante et des symptômes de malnutrition peuvent être observés.
Selon la Fondation pour la Recherche Médicale, les TCA peuvent induire des troubles digestifs, des problèmes dentaires, et même des arrêts cardiaques en raison de la basse significative du taux de potassium dans le sang.
Afin de gérer ou d’arriver à sortir des griffes de l’anxiété ou des troubles alimentaires, il faut, entre autres, un travail de fond sur les cognitions et les représentations. Le processus peut être un peu long et il est important de faire preuve de patience et de persévérance.
Malheureusement, l’anxiété alimentaire est très souvent banalisée. En effet, dès que la saison estivale commence à s’approcher, tout le monde ne parle que de régimes et de stratégies à adopter pour perdre du poids rapidement. Cela rend le basculement dans la pathologie dur à cerner. Il est donc capital que le sujet prenne du recul par rapport à ses comportements, ses nombreuses restrictions et son regard manquant de bienveillance envers lui-même pour arriver à relativiser et à stopper le cercle.
Dans le cas des troubles alimentaires, la personne est généralement emportée par ses obsessions et dans le tourbillon de conduites anormales dans lequel elle est plongée. Si elle reçoit des remarques de son entourage sur ses changements corporels ou sur son attitude, elle va se braquer et nier qu’elle va mal. Mais au fond elle le sait et c’est pour ça qu’elle se cache pour manger ou qu’elle dissimule son corps sous une tonne de vêtements. Il est essentiel alors d’en parler pour se faire aider, ne serait ce que par ses proches.
Il est important de déconstruire la représentation du corps idéal telle que dictée par la société et par les médias pour se redécouvrir dans le miroir et accepter sa morphologie. Une icône telle que Marilyn Monroe, par exemple, était loin d’être filiforme et pourtant elle est encore considérée à ce jour comme une des plus belles femmes au monde.
Il est aussi recommandé de s’éloigner des réseaux sociaux et principalement des influenceurs qui prônent le culte de la minceur et qui incitent à atteindre des objectifs de poids irréalistes.
Par ailleurs, il est important de retrouver le plaisir de s’alimenter, d’abolir l’idée des régimes restrictifs et de reprendre conscience de ses réels besoins. En effet, à force de limiter son alimentation, la personne va développer une restriction cognitive qui va jusqu’à perturber sa capacité à ressentir la faim ou la satiété. Cela risque d’avoir un effet inverse de celui recherché et une prise de poids conséquente qui peut engendrer une augmentation de l’anxiété ou une amplification du TCA.
L’un des principaux facteurs de l’apparition de l’anxiété ou du trouble alimentaires, c’est la faible estime de soi. Il est donc important d’agir sur cet élément pour arriver à s’accepter et à s’aimer. Pour cela, il est conseillé de réduire son perfectionnisme et de faire preuve d’une autocompassion qui se répercutera sur le discours interne. Les critiques de soi et de son physique devront être réduites au fil du temps jusqu’à prendre la forme de compliments.
Le fait de tenir un journal qui permet de tirer des leçons de ses échecs et de valoriser ses petits exploits quotidiens peut aussi contribuer à renforcer la confiance en soi.
S’informer sur l’importance de garder un poids de forme peut réconcilier la personne avec son corps. Quant à la compréhension approfondie des principes nutritionnels, des besoins énergétiques et des relations complexes entre l'alimentation et la santé mentale, elle peut aussi aider le sujet à prendre conscience du caractère nocif de son anxiété ou de ses comportements.
Par ailleurs, se documenter sur les bienfaits des aliments au lieu de se focaliser sur le nombre de calories et de les voir comme un danger, permet d’améliorer le rapport à la nourriture. Les articles scientifiques et académiques réalisés par des experts en nutrition devraient remplacer les pages de magazines incitant à maigrir.
L’anxiété et les angoisses sont toujours présentes qu’il y ait une perturbation ou un réel trouble des conduites alimentaires. Il est donc crucial d’apprendre à la gérer convenablement pour éviter la perte de contrôle de ses comportements. A cette fin, il est recommandé de se familiariser avec la respiration abdominale et d’en faire un rituel quotidien qui aide à se décontracter au cours de la journée ou avant le coucher.
Il est aussi conseillé de s’initier à la méditation pleine conscience. D’après Lienard (2018), celle-ci permet une réduction des préoccupations autour de l’alimentation, une diminution de l’impulsivité alimentaire et de meilleures écoute intéroceptives et régulation émotionnelle.
Pour un individu présentant un trouble du comportement alimentaire, la prise en charge médicale et psychiatrique est indiscutable. Elle peut prendre la forme de médication, d’hospitalisation et/ou de psychothérapie. Cette dernière peut être psychanalytique, interpersonnelle ou d’orientation cognitivo-comportementale.
Pour ce qui est de l’anxiété alimentaire, il est aussi important de consulter quand elle signe une rupture avec la vie d’avant et qu’elle impacte les relations sociales et les tâches quotidiennes du sujet. Le psychologue ou le psychiatre aidera à diminuer son intensité et réduira grandement le risque de son évolution en un véritable TCA.
Le recours à l’aide d’un nutritionniste est également fortement recommandé dans les deux cas.
L'anxiété alimentaire et les troubles de l'alimentation sont des phénomènes qui, bien que distincts, partagent des liens étroits et peuvent évoluer de manière interconnectée. L'impact délétère sur la santé mentale, se manifeste à travers des troubles anxieux, une dépression potentiellement grave, et parfois même des tentatives de suicides. Ces conséquences coexistent avec des risques de malnutrition et de troubles cardiaques. Surmonter ces affections nécessite un regain de confiance en soi, un travail sur le rapport au corps et à la nourriture, l’adoption de techniques de gestion du stress, mais très souvent aussi le recours à une aide professionnelle.